Gonzague Dambricourt

Les deux grand-mères

Un père, une mère, deux grand-mères. Deux parcours fort différents.

Deux milieux pas trop opposés socialement mais un des deux partis vit dans bien plus de confort et d’argent que l’autre.

Ma grand-mère maternelle épouse un colonel. Il décédera, intoxiqué par une fuite de gaz en pleine nuit. Ma mère a cinq ans.


Ma grand-mère paternelle épouse un homme de la famille Dambricourt. Famille qui a prospéré dans l’industrie du papier (c’était – à l’époque – les papeteries Dambricourt) dans la vallée de l’Aa. Mille employés et pas trop de soucis en vue. Mon grand-père crée ensuite sa manufacture textile qui sera plus tard étouffée par les prix pratiqués de part l’Europe de l’Est et le Maghreb.

Pour la première, quatres filles à charge, pas de mari pour l’aider financièrement et pas d’emploi, la vie devient un challenge quotidien pour les élever et les faire vivre décemment. Une femme qui travaille ça n’est pas encore tout à fait dans les moeurs. Elle finit par trouver un emploi qui l’obligera à courir aux quatres coins de la France mais grâce auquel – par la force des sacrifices -elle pourra donner à ses filles la meilleure enfance qu’elle pouvait. Suivant au début son mari en mission en Algérie, elle finira s’installer en Allemagne puis en France.

Pour la seconde, l’argent n’est pas trop un problème : la famille en a à revendre. Il n’y a pas trop de sacrifices à faire pour son fils unique. Mais cela ne lui donne pas forcément l’enfance heureuse qu’on aurait pu lui prédire. Fils unique ça n’est pas forcément tout ce qu’il y a de plus souhaitable : les frères et soeurs sont bien souvent comme une seconde force, des confidents qui savent écouter et interpréter votre silence. Son mari se détruit la santé en fumant tellement qu’il en vient à se lever la nuit pour fumer en cachette. Un mari qui a grandi dans l’argent et entouré de personnes servant sa famille. Cela n’aura pas beaucoup aidé ma grand mère paternelle et si elle a du mérite c’est bien pour avoir supporté autant son mari et pour lui rendre encore visite très régulièrement. Je la respecte et l’aime évidemment.

Le destin – si on peut se permettre – fait bien les choses : c’est aujourd’hui ma grand-mère ayant traversé le plus de difficultés qui a une forme du tonnerre, de l’énergie à ne plus savoir qu’en faire. Le coeur sur la main et l’envie de tout partager.

Ces années de vie sont à mes yeux deux preuves du fait que l’argent ne fait pas le bonheur et qu’en se battant on peut s’en sortir. Qu’en se battant, elle s’en est sortie.


Cet exemple de ténacité, de courage et de motivation me donnent aujourd’hui une grande fierté quand je parle de ma grand-mère maternelle. Cela ne veut pas dire que ma grand-mère paternelle n’a pas de courage, que je ne l’aime pas ou moins que l’autre. Loin de là. C’est juste que tant les sépare…

Un point marrant concernant ma grand mère maternelle : je l’appelle souvent le moulin à paroles tant elle peut parler en une soirée au point qu’on regrette parfois de l’avoir lancée sur un sujet. Mais – avec le recul – c’est une mémoire vivante du passé. Une mémoire qui se souvient de détails infiniment précis, capable de nous conter des histoires, des événements. Une mémoire de famille. C’est extraordinaire et c’est encore plus agréable quand l’on voit que les années passant, elle est de plus en plus tolérante & ouverte d’esprit.

Je sais qu’elle ne me lira jamais tant elle raffole peu des nouvelles technologies (rien que le fait de lui avoir offert un téléphone portable a été tout une épopée) mais si au moins je peux l’avoir écrit ici, y revenir plus tard, le relire, me rappeler, je suis très content de cette petite trace. Cela ne m’empêchera pas de lui dire. Un jour.

D’oser aller vers elle, pour lui dire toute la fierté que m’inspire ma grand-mère.

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