Gonzague Dambricourt

S’enfuyant, innocente


Photo par Virginia G

J’entre dans la maison de retraite.

Il est 17h35.

Une dizaine d’habitués, assis, regardent la télévision gigantesque qui trône à une dizaine de mètres de la double porte d’entrée. Double porte qui a son importance.

Je descends à l’étage inférieur puisque c’est là qu’il réside. Traversant le couloir de ce niveau, je passe entre deux sortes de fauteuils roulants dans lesquels se trouvent deux personnes.

Impossible de savoir si ce sont des hommes ou des femmes , les cheveux gris ne me renseignent que peu. Par contre j’ai l’impression qu’ils ont tous deux rétréci à la machine.

Ce qui semble avoir retenu leur attention c’est le fait que je sois en maillot de bain tshirt. J’entends murmurer “il est en caleçon hihi“.

J’entre dans la chambre de mon grand père, c’était quand même lui l’objet de la visite. Ma grand-mère se tient non loin de là, assise à lire un bouquin.

Comme toujours nous échangeons les banalités “ça va bien ?” et un inhabituel “il fait beau aujourd’hui !” (remis dans le contexte c’est le nord, il paraît qu’il fait -20) … S’en suit le blabla habituel. Apparemment il se rappelle que je vais sur Paris et il l’a fait savoir lors d’un repas récent en famille. Repas durant lequel il a été odieux m’a expliqué ma mère, furieuse. C’est la maladie nous a expliqué Patricia, infirmière la résidence (quel mot bien choisi pour désigner l’endroit où des gens abandonnent leurs parents, trop âgés, trop chiants et dont 70% ne daignent pas venir les voir au moins une fois par semaine).

Gonzague est complètement débile d’arrêter ses études“. Tout le monde va le savoir , il a un petit-fils inconscient. Mais je ne lui parle pas de cet épisode aujourd’hui il semble de bonne humeur. On discute et soudain le prénom de Martin ressort dans la conversation. “Martin qui?” nous dit-il interloqué…. “Ton petit-fils voyons“.. “Ah oui, Martin. Bien sûr!

Peu après, devant redescendre la voiture pour mon père, je quitte la pièce quand il me dit “Tu reviens quand ? Dans deux mois ?” .. sous-entendant que je ne viens jamais. De toute manière il raconte à tous ceux qui veulent l’entendre que personne ne lui rend jamais visite.

Je monte l’escalier – l’ascenseur est d’une lenteur épouvantable – je croise un premier monsieur qui marche en s’appuyant sur ses béquilles et sur les murs. Je lui lance un gentil “bonjour” mais il semble ne pas entendre.

Avançant vers la double porte, vous êtes là. Dans votre fauteuil roulant. Et comme toujours, vous êtes à proximité de la porte. A vous aussi, je glisse un bonjour, sourire inclus.

Bien ennuyé car je sais votre tendance à vouloir la franchir, je passe la première porte dont le détecteur de mouvement fait qu’elle s’actionne seule. Vous vous engouffrez.

Hésitation. Non finalement je n’appuie pas sur le bouton Ouverture de la seconde porte. Il est placé assez haut pour éviter que les résidents n’ouvrent. Enfin , surtout ceux qui ne sont pas autonomes, comme vous.

Je m’arrête donc, me tourne vers vous pour vous demander ce que vous souhaitez. De votre voix de vieille dame vous m’expliquez en montrant du doigt les bancs “je dois aller chercher mes affaires“.

Les bancs brillent par leur …. vide. Il n’y a d’affaires sur aucun des trois bancs. Le récit d’invention semble être une chose que vous maîtrisez autant que mon grand-père.

Enlevez les mains des roues s’il vous plaît madame“. Vous vous exécutez en grommelant un français que je ne comprends pas. Vous reconduisant vers l’intérieur tout doucement, je vous demande alors vers où vous voulez aller et vous y emmène.

Une fois arrivés, j’ôte mes mains des poignées du fauteuil roulant. Vous soufflant alors un “bonne fin de journée et bon courage madame“, je m’éloigne tandis que vous vociférez à voix basse.

Cela ne sera ni votre première ni votre dernière tentative. Pourtant , dehors, je ne suis pas certain que quelqu’un vous attende….

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