Nous sommes à table.
Tu me parles de la Bretagne, de la grande maison que vous aviez là-bas. A Vannes.
Comme ton frère et toi étiez malades, les Allemands n’y sont pas restés, par peur de la contagion.
Les yeux grands ouverts, lucide, tu me racontes le passé, l’avant.
“Les gens étaient plus résistants“. C’est vrai , aujourd’hui on vit une grosse bulle, un monde aseptisé bien comme il faut. Monde dans lequel les gens tombent malade dès le contact avec le moindre microbe.
Et c’est dans ces moments que tu plonges, rêveuses, dans les souvenirs de ton père. Mais aussi de ton mari dont tu ne parles quasiment jamais. Je ne le connais presque qu’à travers la guerre ce grand-père mort dix-huit ans avant ma naissance.
Tu parles de l’Allemagne, d’Alger. Capable de raconter tout cela avec une précision qui m’étonne encore, tu me racontes que votre dogue allemand était capable de te traîner sur la plage, de t’empêcher de te noyer.
Que vous planquiez les vélos pour éviter qu’ils ne soient utilisés par les “Boches”, que du coup vous faisiez les kilomètres qui vous séparaient de la plage à pied. Parfois pieds nus mais toujours de bonne humeur.
C’est drôle ce que l’on peut se raconter autour d’une table, dans l’ambiance feutrée de ton appartement surchauffé. Bien que j’aime la chaleur, vingt-quatre degrés ça m’a toujours semblé de trop et tu t’étonnes encore que je vienne en t-shirt.
J’aime bien quand tu me parles de la guerre. Mais étrangement, j’ai l’impression que je suis incapable de me souvenir d’autant de détails que toi.
Et le sentiment incompréhensible que ma grand-mère est éternelle. Cette vitalité qui l’anime fait plaisir à voir. Un moulin à paroles certes mais un moulin à belles paroles.