Gonzague Dambricourt

Elle est belle ta sacoche. Je te la prends

C’est bien la première fois que ça m’arrive. Dans ma courte de vie.

Je sors de chez toi. Je fais cinq mètres vers la droite.

Ils sont quatre, à marcher un peu plus haut sur le trottoir, occupants toute la largeur.

Je me déplace vers la gauche pour passer mais visiblement eux n’ont pas très envie de me laisser circuler..

Quatre bonhommes plus ou moins baraques. Face à mon grand corps malade petit corps faible. Pas très encombrés de leurs manteaux quand je traîne ma valise de dix kilos et ma sacoche d’ordinateur. Putain de sacoche. Ils ont repéré l’immeuble. Il fait sombre et pas un chat dans la rue Pierre Sémard.

Un des quatres individus me fait comprendre par son déplacement et son regard que je ne dois pas bouger. Ils s’approchent ensemble, en formation serrée. Me plaquant contre une voiture. A des fins purement sympathiques, l’un deux m’attrape par ma gorge. Mon triple menton ne semble pas le gêner le moins du monde. Un autre fouille les poches de mon manteau. Dieu merci j’en ai mis un assez moche aujourd’hui, il ne fait pas très “riche”. Il sort de ma poche gauche un gant. Je crois qu’il tient mon téléphone et je lui demande de prendre le téléphone mais de me rendre la carte SIM (oui oui, réflexe débile et inutile). Il me claque “c’est pas une carte SIM c’est un gant”.

J’ai de la chance il faut croire qu’un voleur c’est plus ou moins débile, il ne se demande pas pourquoi je parle de carte SIM et ne me demande pas mon téléphone. Parce qu’évidemment depuis une semaine je m’étais décidé à balader le plus puissant – qui est aussi le plus cher. Celui-ci reste donc blotti dans la poche de mon jean. Comme un débile je leur propose de leur filer du fric plutôt qu’ils me piquent mes affaires. Je n’ai pas de liquide et ces messieurs ne prennent pas la carte bleue, dommage je n’avais pas explosé mon plafond ce mois-ci.

La sacoche nous intéresse. Putain de sacoche. C’est vrai que c’est un signe. C’est pas trop ce qui sert à transporter un bouquin, c’est une belle sacoche d’ordinateur toute neuve. Hmm. Miam. Et hop, on lui arrache sa sacoche des mains à ce gros con. Sa valise a l’air lourde et peu intéressante, on va la laisser là.

Pendant qu’un de nous trois le tient par la gorge, nous nous échappons en descendant la rue.

Je vois ces jeunes de mon âge s’éloigner avec ma précieuse sacoche “Samsonite”. L’autre me tient toujours à la gorge quand tout d’un coup mon cerveau se remet en route. “Merde ils sont en train d’embarquer 1840 euros de matériel Apple“. Ma main droite serrant fortement la valise qui n’intéresse personne malgré son contenu, j’utilise la gauche pour étrangler gentiment mon agresseur. Hmm il n’a pas l’air d’apprécier il se dégage de mon emprise et rejoint sa bande en courant.

Tic. Deuxième onde de choc dans ce petit cerveau qu’est le mien, je me mets à hurler comme jamais “A l’aide, au secours, ils m’ont volé ma sacoche” (ou mon ordinateur, l’imprécision de ma mémoire joue dans la méprise du mot). Je crie comme je n’ai jamais crié, je cours comme je n’ai jamais couru. Ma langue fourche et je gronde intérieurement quand je passe devant un homme qui – stoïque – regarde passer les auteurs du larcin et un fou furieux armé d’une valise hurlant qu’il a besoin d’aide.

Il est vrai que d’appeler la police l’aurait sûrement dérangé, pauvre petit. Au chaud devant la porte de son hôtel. Ah, pauvre gamin il s’est fait voler sa sacoche, ça lui apprendra à oser transporter des choses dehors.

Bordel il nous course encore, on va monter les escaliers il lâchera l’affaire ce con. On escalade en trombe les marches menant à la rue de Bellefond où on le sèmera sûrement. Il hurle comme un porc ma parole. Tout le quartier nous entend. Notre quatrième compère vient de nous rejoindre après l’avoir tenu à distance.

Aïe je suis mal barré pour monter ces escaliers avec ma valise. Peu importe, les dix kilos ne semblent plus représenter aucun poids, elle me suit, virevolant et dérapant, manquant de se renverser, je descends jusqu’aux escaliers. Je les gravis en continuant à hurler “à l’aide, aidez moi”. Personne ne bouge, les gens regardent depuis leur fenêtre.

Puis j’entends, comme venue du ciel, une voix qui s’écrie “on appelle la police”. Ahah je me crois sauvé. La police va sûrement apparaître par magie et arrêter ces gens que je vois s’envoler au loin avec une partie de mon outil de travail. Un outil que je ne pourrais pas me repayer de si tôt même si les gens pensent le contraire.

Grimpant les marches unes à unes avec ma valise, je vois des têtes en haut, espérant qu’ils essayent d’arrêter les quatres garçons qui courent à une vingtaine de mètres de moi.

Il y a un peu plus de passage dans la rue de Bellefond (dont j’ignore le nom à ce moment). Les gens me regardent passer ébahis. Je rattrape, à ma grande surprise, les voleurs.

Ceux-ci sentent qu’ils se rapprochent d’un endroit trop fréquenté – le boulevard – et celui qui tient mon ordinateur décide d’agir prudemment : il ralentit sa course et dépose presque délicatement ma sacoche.

Je m’arrête de courir, petit coeur battant la chamade, voix éreintée et l’impression que ma gorge saigne intérieurement. Je ramasse ma précieuse sacoche. qui n’a pas souffert de la petite virée. Deux passants s’inquiètent aimablement de mon sort “ça va? que s’est-il passé?”. Sur l’autre trottoir j’entends un homme dire à ses amis “j’ai failli aller l’aider”. Oui mais la différence c’est que tu ne l’as pas fait. M’enfin. Ce n’est pas bien grave, d’autres l’ont fait.

Perdu entre ce sentiment de peur et la joie de retrouver mon sac, je n’arrive pas tout de suite à m’exprimer correctement puis les mots me reviennent. “Ils m’ont plaqué contre une voiture et m’ont pris mon sac”.

J’ai peur de me rendre jusqu’à la gare car je ne sais plus quel chemin emprunter, quel chemin est sûr. Je n’ose qu’à demi-mots leur demander de m’accompagner ce qu’ils acceptent encore une fois très aimablement.

A proximité de la gare du Nord, je les remercie et m’éloigne vers la voiture qui m’attend. Xavier et Nicolas m’y retrouvent.

Les choses commencent à aller mieux. Je raconte à nouveau et un peu mieux l’histoire expliquée au téléphone.

Ce n’est qu’un peu plus tard que je réalise à quel point j’ai bien fait de m’éreinter à hurler. La réaction les a surpris et gênés dans leur progression. La stupidité des voleurs jouant en ma faveur ils ne se sont pas dispersés et je n’ai eu qu’à suivre un groupe malgré le poids de ma sacoche.

Sacoche qui – je le réaliserais aussi plus tard – contenait mon portefeuille ainsi que mon iPod. Sacoche qui – Emmanuel me l’avait dit – n’était pas une bonne idée.

Et oui. C’est idiot mais je balade toujours trop de matériel sur moi. Une mauvaise tendance que je tâcherais désormais de corriger.

Etat d’esprit ce soir à deux heures du matin : pas trop stressé. Juste un sentiment bizarre qui me traverse. C’est bizarre mais je me sens un peu plus fort. La prochaine fois je serais un peu mieux préparé. Une batte de baseballe, un poing américain, un tazer et du gaz lacrymogène.

Bref. Cela fait bizarre. On sort l’esprit tout tranquille, pas tout à fait content de quitter Paris pour retourner à l’école mais on le fait. Et boom, ça vous tombe sur le coin de la gueule. Un peu inattendu comme fin de journée.

Heureusement, quelques gens ont encore un sens de l’aide et du soutien dans la rue. C’est d’une grande aide quand vous vous retrouvez seul dans une ville qui n’est pas la vôtre après vous être fait agresser.

Enfin bref voilà, je me suis fait agresser mais je n’ai rien de cassé, je n’ai pas pris de coup de couteau et j’ai même pu récupérer mon matériel en parfait état. C’est l’essentiel. Et quand vous le pouvez, faites de même, résistez. Les gens n’ont pas forcément l’habitude et ça les déstabilise.

Merci à ceux qui ont appelé à la suite de ce “petit” incident, qui m’ont mailé, twitté ou parlé tout simplement , c’est très gentil et je vous en remercie grandement.

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